La lutte pour l’environnement concerne, au vu de son impact, tout le monde. Mais le sommes-nous tous avec la même urgence et intensité ? N’y a-t-il pas des populations plus exposées que d’autres aux enjeux écologiques ? Ainsi, la lutte ne serait pas qu’environnementale mais aussi sociale. Il s’agit de dénoncer l’existence d’un nouveau type d’injustice, fruit de nouvelles inégalités. Tirons le portrait-robot des plus vulnérables face à l’environnement.
Saint Denis versus Neuilly-sur-Seine : Qui fait face à la pollution ?
À quelques kilomètres l’une de l’autre, Neuilly-sur-Seine et Saint-Denis sont le symbole d’une injustice environnementale. Les inégalités sont d’abord sociales : selon l’INSEE en 2015, le taux de pauvreté de Seine-Saint-Denis avoisine les 30% quand celui des Hauts-de-Seine est de 12,4 %. De la même manière, le salaire moyen par an et par tête s’élève à 24 260 € net dans le 93 alors qu’il est de 35 149 € net dans le 92.
Des urbanismes radicalement opposés
Ces inégalités sociales se doublent d’inégalités environnementales. Historiquement, le département de la Seine-Saint-Denis a vu se multiplier les zones industrielles de transformations, dangereuses pour la santé, à l’image des nombreuses industries chimiques ou métallurgiques qui s’y sont succédées. Par ailleurs, en plus d’un maillage urbain très dense, le département est traversé par de nombreuses routes (périphérique, A1, A86, etc.) exposant sa population à une forte pollution. Le département des Hauts-de-Seine, quant à lui, possède de nombreux parcs. À Neuilly-sur-Seine, le périphérique est enfoui, ce qui réduit considérablement le contact de ses habitants à la pollution. Ainsi, là où la ville de Saint-Denis est l’une des plus polluée de France, Neuilly-sur-Seine, dont les problématiques sont initialement similaires, réduit considérablement les risques de problème de santé pour ses habitants, via son aménagement.
Panorama de la ville de Neuilly-sur-Seine et son urbanisme vert. Photo d’Olivier H.
Il n’est pas là simplement une question du prix du foncier. On pourrait se dire que si les entreprises s’installent de façon privilégiée dans ces territoires c’est simplement car le coût du foncier y est moins important. Mais de nouvelles installations (souvent polluantes) sont toujours mises en place par des collectivités au coeur des foyers populaires et ce, non pas que pour des raisons financières. Cela dénote d’un mépris de classe et montre la dimension sociale de ces inégalités environnementales. Ces installations sont par exemple des décharges, ou bien des incinérateurs, à l’image de celui implanté à Saint-Ouen dans les années 90.
Le choix des collectivités territoriales est aussi politique ; on peut supposer que les classes populaires possèdent un poids institutionnel et politique plus faible que les classes dominantes, dans un système où les partis au pouvoir ont des visées électoralistes ciblant en premier lieu les classes moyennes et supérieures. Ainsi, les inégalités sociales engendrent également des inégalités environnementales.
Une cité bétonnée à Saint-Denis
Des inégalités aux multiples facettes
Néanmoins, on ne peut pas réduire ces inégalités simplement à une analyse classiste. Pour comprendre l’ampleur de l’injustice environnementale, il faut sans cesse changer la focale. En effet, l’environnement est une partie intégrante d’un vaste système d’inégalités dans lequel une infinité de combinaisons permet d’apercevoir différentes facettes d’un même problème.
L’environnement au prisme du genre
Est-on plus exposé aux risques environnementaux entant que femme ? A priori, le lien de causalité entre les deux ne semble pas évident. Pourtant les inégalités environnementales et genrées se croisent en certains endroits. C’est le cas notamment de l’exposition à la pollution de l’air en intérieur. En effet, dans les pays où les plus pauvres se chauffent grâce à la combustion de matières premières telles que le charbon et où les habitants ne possèdent pas de système d’aération assez performant, les femmes sont plus exposées à une mauvaise qualité de l’air. Ainsi, lorsque le rôle de la femme est dédié à la gestion du foyer, ces dernières s’exposent davantage à des conséquences néfastes pour leur santé : troubles cardiaques, maladies pulmonaires, etc.
Une autre expression de ce croisement d’inégalités est à chercher du côté des migrations. En effet, le nombre de déplacés environnementaux ne fait que s’accroître d’année en année. Le GIEC estimait qu’en 2015, ils représentaient 42 millions de personnes dans le monde. Ces migrations, bien qu’elles enregistrent un phénomène de féminisation depuis quelques années, sont tendanciellement plus masculine. Bien sûr, en migrant les populations s’exposent à d’autres d’inégalités, toutes aussi importantes. Mais du point de vue de l’exposition à un danger environnemental, les femmes en sont plus victimes, car moins disposées à pouvoir migrer que leurs homologues masculins.
Le racisme environnemental
Cette notion a émergé depuis les années 70 aux Etats-Unis. En France, elle peine à se faire une place au sein du paysage politique. Elle permet de saisir l’imbrication entre inégalités environnementales et racisme intériorisé. Pourtant, les conclusions auxquelles sont parvenues les chercheurs étasuniens laisse deviner la pertinence du concept appliqué en France.
Au rang de ces recherches, le saturnisme chez les enfants afro-américains fait figure d’exemple saisissant. Une étude menée à Rhode Island entre 1997 et 2010 s’intéresse au lien entre résultats scolaires des enfants afro-américain et intoxication au plomb. En effet, on trouve une concentration anormalement élevée de plomb au sein des foyers afro-américain. Cela s’explique par leur vétusté, mais aussi par l’installation, quasi systématique, de centres d’enfouissement des déchets toxiques à proximité. La surexposition au plomb avoisine les 60% en 1997. Or, cela provoque chez les enfants, un mauvais développement des capacités cognitives. Parallèlement, dans cet Etat, on enregistre une différence significative de résultats scolaires entre les enfants Afro-américains et Blancs. Pour démontrer l’impact de la présence de plomb sur ces résultats, les chercheurs mesurent les résultats scolaires en fonction de l’application de la réglementation sur l’utilisation de la peinture au plomb. Le résultat est sans appel : entre 1997 et 2004 la réglementation est plus importante et la présence de plomb diminue au sein des foyers tandis que les résultats scolaires s’améliorent !
On voit ici comment une inégalité d’exposition nourrit un système dans lequel les populations Afro-américaines ne possèdent pas les mêmes chances de réussite. Ainsi, le système ne fait que se reproduire car les élèves ayant de moins bon résultats sont plus susceptibles à terme de devoir se loger dans des logements moins chers et donc plus vétustes, s’exposant à nouveau aux dangers du saturnisme.
Quelles conséquences pour les populations ?
Or ces inégalités d’exposition à des risques environnementaux ont des conséquences importantes. L’OMS estime que la charge de morbidité mondiale due à l’environnement s’élève à 24%. Quant au nombre de décès, il est de 23%. Ainsi, ces populations sont les premières touchées puisque plus aux contacts des dangers environnementaux. Quand on sait qu’il y a, par exemple, 7 ans d’écart entre l’espérance de vie d’un cadre et d’un ouvrier, on comprend bien en quoi ces inégalités environnementales et sociales interagissent et se nourrissent entre elles.
Une seule et même lutte
Une manifestation contre le projet Dakota access pipeline, Washington
Ainsi, la lutte pour l’environnement doit devenir une lutte sociale afin d’être véritablement efficace. De la même manière, les luttes sociales doivent prendre en compte la dimension environnementale inhérente aux inégalités qu’elles combattent. Par là, ce sont des centaines d’inégalités qui sont finalement rendues visibles. Il faut faire émerger un point de rencontre entre ces luttes, en faire un combat commun. Avoir un tel dessein permet de lutter pour une résolution pleine et entière des problèmes sociaux en question. Cela se fait déjà, notamment au travers de mouvements transversaux, à l’image de l’éco-féminisme, par exemple.
Pour aller plus loin :
L’écologie, seulement pour les bobos ?
Sources :
Chancel, Lucas, Insoutenables inégalités, Les petits matins, 2017
Canabate, Alice, Comment saisir les inégalités environnementales, Rapport pour la Fondation de l’écologie politique, 2017.
Cet article a été rédigé par Suzie Bernard, étudiante en sciences humaines à l’Université Paris-Dauphine.