Précarité ou handicap : peut-on vivre sans produits jetables ?

Pour protéger la planète et les individus, des lois entrent en vigueur pour interdire l’usage de certains produits à usage unique. Ces interdictions prennent-elles en compte tous les besoins spécifiques de la population ? Ne créent-elles pas des inégalités, notamment pour les personnes en situation de handicap ou de précarité ?

Interdictions d’un côté, alternatives de l’autre

On ne compte plus le nombre de produits en plastique que l’on utilise une fois et que l’on jette directement, comme les pailles, qui sont utilisés en moyenne 20 minutes avant d’être jetés. En France, les gobelets, verres et assiettes seront interdits en 2020. Les pailles, couverts et bâtonnets mélangeurs le seront en 2021. Ces produits exigent de nombreuses ressources pour leur création et polluent lors de leur fin de vie. Nous pouvons aussi considérer qu’ils ne sont pas indispensables dans notre quotidien.

Des alternatives au plastique à usage unique existent. Les serviettes en coton lavable et les coupes menstruelles remplacent désormais les serviettes et tampons jetables. Les couches lavables remplacement celles jetables. Les pailles en inox, en verre ou en bambou remplacent les pailles en plastique. Ce sont des alternatives qui sont à la fois lavables et réutilisables.

Des serviettes lavables pour tout le monde ?

Est-ce que ces alternatives sont faites pour tout le monde ? Prenons l’exemple des femmes sans domicile fixe (SDF), en général moins visibles que les hommes et récemment mises en lumière dans le film « Les invisibles ».

règles zéro déchet

La composition des serviettes périodiques et des tampons jetables restent souvent très floues. Cela est due à une réglementation qui n’oblige pas les fabricants à afficher la composition de leurs produits. Plusieurs études à ce sujet ont été menées. Elles ont révélées la présence de résidus de molécules toxiques (notamment de plusieurs pesticides comme le glyphosate). Ces molécules peuvent être très dangereuses pour la santé et provoquer le Syndrome du Choc Toxique (SCT). Pour ces raisons, nous pourrions nous réjouir de la généralisation des serviettes hygiéniques lavables ou des coupes menstruelles.

  • Pas d’eau

Le problème, c’est que les conditions de vie des femmes en situation de précarité et d’exclusion ne leur permettent pas d’avoir accès à des alternatives respectueuses de l’environnement et de leur santé. Il paraît difficile voire impossible pour elles de se retrouver dans des situations confortables. Sans eau ni savon à portée de main, impossible de laver ses serviettes périodiques ou de stériliser sa coupe menstruelle.

  • Pas de logement

De manière générale, laver des serviettes réutilisables, demande de les mettre dans ses lessives habituelles. Sans logement, il est nécessaire de laver ses serviettes réutilisables dans une laverie, engendrant un surcoût pour l’utilisateur.

Aussi, sans logement, les personnes concernées n’ont pas de lieu de séchage et stockage nécessaires à la bonne utilisation des serviettes réutilisables et coupes menstruelles.

femme dans la rue

  • Pas d’argent

Actuellement le prix d’une serviette lavable est beaucoup plus élevé qu’une serviette jetable. Cela ne permet pas à des femmes en situation de précarité d’avoir le choix. Toutefois, il est important de noter que sur le long terme, les serviettes lavables et les coupes menstruelles reviennent moins cher que les serviettes jetables ou les tampons. Cependant, l’investissement préalable exigé pour les alternatives lavables est souvent rédhibitoire pour des personnes ayant des problèmes d’argent.

  • Pas une priorité

Pour ces femmes, ces questions peuvent ne pas être une priorité. En effet, quand on vit, ou plutôt que l’on survit, dans des situations très difficiles et parfois dangereuses, la question de l’environnement et de la santé à long terme n’est pas la préoccupation première. Une personne en situation de précarité pense d’abord à sa survie et aux moyens qu’elle peut avoir pour subvenir à ses besoins primaires.

Ainsi, la serviette lavable a plein d’avantages, mais son utilisation requiert un environnement qui soit composé de plusieurs spécificités : un logement, de l’eau courante et de l’argent pour s’acheter du savon. Ces alternatives aux serviettes et tampons jetables créées des situations d’exclusion et entretiennent voire renforcent les inégalités.

La paille : indispensable en situation de polyhandicap ?

  • La paille en plastique répond à un besoin spécifique

Une personne en situation de polyhandicap est une personne ayant un handicap grave associant déficience mentale et déficience motrice sévère ou profonde. Ces personnes peuvent ne pas avoir la possibilité de déglutir et de mastiquer correctement dû à des lésions au cerveau. En effet, que cela soit dans un espace de restauration extérieure (bar, restaurant ou autre) ou bien chez soi, une personne qui n’a pas les capacités physiques de mâcher va utiliser une paille pour se nourrir, généralement en plastique jetable.

pailles

  • Des alternatives non adaptées et dangereuses

Il existe aujourd’hui les pailles en bambou, en inox, en verre ou encore en papier compostable. Néanmoins, certaines de ces alternatives ne permettent pas à celles-ci de se plier pour faciliter la mise en bouche. C’est donc à la personne de se mettre au-dessus de sa boisson et de s’adapter au contenant pour pouvoir boire. Or, cette capacité physique n’est pas à la portée de tous.

Au-delà du côté pratique, un volet sécurité est à prendre en compte. En effet, les pailles en inox, en bambou et en verre sont très rigides. Cette rigidité peut venir blesser le palais, surtout si la personne contrôle difficilement ses mouvements. Elles peuvent également devenir très chaudes et causer des brûlures. Pour les pailles en papier compostable qui peuvent être plus souples, la matière papier, associée à un excès de salive (qui peut être provoqué par la prise de médicaments par exemple) ou à une boisson chaude, va se décomposer assez rapidement. Finalement, aucune solution alternative connue à ce jour, respectant l’environnement, ne semble adaptée aux personnes en situation de polyhandicap.

  • Une loi qui prive certaines personnes d’un objet indispensable au quotidien

Au vu de la nouvelle loi qui va entrer en vigueur le 1er Janvier 2021 en France sur l’interdiction des pailles en plastique à usage unique, des questions se posent sur les alternatives possibles. Pour les personnes ayant les capacités de se nourrir sans difficulté utiliser une paille n’est pas une nécessité, c’est un accessoire. Nous pouvons donc très bien nous en passer. Il n’en va pas de même pour tout le monde.

Protéger la planète ne doit pas se faire au détriment de milliers d’individus

  • Un développement durable qui n’est pas inclusif

Le développement durable est un développement qui permet de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. C’est un concept fondé sur trois principes de base : la croissance économique, l’inclusion sociale et la protection de l’environnement. Ces trois principes sont interdépendants et indispensables pour contribuer au bien-être des individus et à celui des sociétés. Les actions menées pour mettre en place un développement qui soit durable ont pour objectifs de protéger la planète et offrir à chaque individu une place.

En effet, mettre en place des alternatives ancrées dans une dynamique de développement durable revient à n’exclure personne. Les actions mises en place dans un programme de développement durable doivent agir à différents niveaux : au niveau de l’économique, de la pauvreté, de l’inclusion, de l’égalité et des ressources naturelles. Il convient donc, par le biais des nouvelles alternatives et par respect des objectifs fixés par l’ONU, de prendre en compte la notion d’inclusion et d’égalité dans la mise en place d’un programme de développement durable.

  • Quelles seraient les solutions ?

Depuis son arrivé sur le marché,  il y a une réelle utilisation abusive et non cohérente du plastique à usage unique pour une grande partie de la population qui n’en a pas le besoin. Il ne convient donc pas forcément d’interdire le plastique à usage unique pour tout le monde. Car cette interdiction pourrait avoir un impact social important et créer des inégalités. Pour certaines personnes par exemple, les pailles sont un besoin, une nécessité qui ne l’est pas pour tout le monde et qui, de ce fait, est à différencier de la consommation abusive.

Ainsi, pour permettre un véritable développement durable, il pourrait être pertinent de :

  • Ne pas interdire l’utilisation de produits plastique jetables sans prévoir d’alternatives inclusives et respectueuses de l’environnement ;
  • Consommer moins de plastique à usage unique pour permettre son utilisation seulement quand c’est nécessaire (ce qui est le cas des hôpitaux par exemple) ;
  • Penser et concevoir des solutions inclusives respectueuses de l’environnement.

photo entreaide

La loi de la Commission européenne qui interdit certains produits plastiques n’est pas en accord avec les objectifs de l’ONU en termes d’inclusion dans la démarche du développement durable. Les décideurs politiques doivent prendre en compte les besoins spécifiques dans l’interdiction des produits qui polluent et qui sont nocifs pour la santé.

Protéger la planète ne doit pas se faire au détriment de milliers d’individus. Au contraire, la protection de notre environnement doit se faire avec les personnes vulnérables et non à leurs dépens.

 

 

Article rédigé par Dorine Rameau

Retour en haut